Ngang Medja : le serpent mystique et la traversée des Ekang

Et si un serpent géant avait, un jour, permis à tout un peuple de franchir la Sanaga, l’un des plus vastes fleuves du Cameroun ? Entre mythe fondateur et mémoire disputée, la légende du Ngang Medja demeure l’un des récits les plus fascinants de l’imaginaire Ekang.


Un peuple en marche

Les traditions orales situent les origines des Ekang bien au-delà des frontières actuelles du Cameroun. Certains récits parlent d’un long périple depuis les rives de l’Éthiopie, traversant le Soudan et le Kenya avant d’arriver en Afrique centrale. D’autres, relayés par des chercheurs et des magazines récents, avancent que la migration aurait été déclenchée par les conquêtes islamiques. En évoquant Ousman Dan Fodio, ces récits situent alors les Ekang plutôt en Afrique de l’Ouest – entre le Nigéria, le Tchad et le nord du Cameroun – qu’en Afrique de l’Est.

Ces divergences montrent combien la mémoire reste fragile lorsqu’elle repose uniquement sur l’oralité. Le point de départ exact, les causes profondes de la migration et les routes empruntées demeurent entourés de mystère.


Le fleuve comme épreuve

Ce qui, en revanche, fait consensus, c’est l’épreuve de la Sanaga. Large parfois d’un kilomètre, le fleuve représentait une barrière redoutable. Certains groupes profitèrent des rochers en aval, d’autres construisirent des radeaux en amont. Mais une partie du peuple vécut une traversée extraordinaire, qui nourrit encore l’imaginaire collectif.

C’est là qu’apparaît le Ngang Medja, « le serpent de la traversée ». On raconte qu’un initié, en contact avec les forces invisibles, fit surgir des eaux un python gigantesque. Étendu d’une rive à l’autre, il forma un pont vivant, permettant à des familles entières de franchir le fleuve sous le souffle du sacré.


Drame et versions multiples

La légende ne se termine pas sans tragédie. Certains disent qu’un guerrier, dans un geste de défi, planta sa lance dans le dos du serpent, le faisant plonger dans les flots et emporter de nombreuses vies. D’autres évoquent un fumeur maladroit, dont la pipe embrasée aurait provoqué la disparition de l’animal.

Aucune version ne fait totalement l’unanimité. Comme dans beaucoup de récits fondateurs africains, la pluralité des voix fait partie intégrante du mythe.

Le serpent dans l’imaginaire camerounais

Au Cameroun, le serpent est bien plus qu’un animal : il est un symbole de puissance et de passage. Dans le Sud, on raconte qu’il protège les forêts sacrées. Autour des grands fleuves, il est souvent perçu comme gardien des eaux, redouté mais respecté.
Le mythe du Ngang Medja s’inscrit dans cette vision : un être mystique qui, le temps d’une traversée, lia les hommes, les ancêtres et le sacré


Des échos à travers l’Afrique

Le Ngang Medja n’est pas une singularité isolée. Partout en Afrique, le serpent apparaît comme un être ambivalent : protecteur et redoutable, pont entre les mondes et gardien des passages.

  • Chez les Dogons du Mali, le serpent Lébé symbolise la continuité de la vie et guide la communauté dans ses migrations.
  • Dans la tradition Yoruba du Nigéria, Oshumare, le serpent arc-en-ciel, incarne le lien entre terre et ciel, équilibre et passage.
  • Au Congo, des récits font état de serpents géants vivant dans les fleuves, redoutés mais aussi vénérés comme gardiens des eaux.

Ces parallèles renforcent la portée universelle du Ngang Medja : il n’est pas seulement un acteur d’une traversée historique, mais un symbole profond de passage, de survie et de communion avec le sacré.


Mémoire et héritage

Aujourd’hui encore, la légende soulève des questions. Si les Bëti la revendiquent comme moment fondateur de leur installation au centre du Cameroun, qu’en est-il des autres rameaux Ekang ? La traversée aurait sans doute conduit certaines communautés vers le Gabon et la Guinée équatoriale. Mais faute de tradition écrite, ces routes restent difficiles à reconstituer.

Le serpent, quant à lui, reste un repère symbolique puissant. Il incarne à la fois la protection des ancêtres, la fragilité du destin et la mémoire partagée d’un peuple en marche. L’idée d’une fête Ekang, dédiée à ce mythe, circule déjà comme un moyen d’unir les communautés dispersées.

Au fond, le mystère du Ngang Medja n’est pas de savoir s’il a réellement existé, mais de comprendre comment, à travers lui, les Ekang racontent leur histoire, leurs épreuves et leur lien indissoluble avec le monde invisible.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *